Moi, Mickie-Robyn Jagger, je vais me permettre de vous raconter mon histoire. Ce n’est pas si passionnant que cela mais je vois bien que votre curiosité vous joue défaut. Vous n’osez pas me demander mais vous voulez savoir. Je vais vous faire ce petit plaisir. J’ai vu le jour à Brighton, magnifique ville portuaire de ce que certains appellent la Côte d’Azur anglaise. Et vous savez quoi ? C'est Papa qui a du aider Maman a accouché à la maison. C'est pas mignon, ça ? A une heure de Londres, nous avions pour habitude de se rendre fréquemment dans la capitale. Et pour cause, mon père est un brillant chirurgien cardiaque du Saint Thomas’ Hospital. Quoi, vous ne connaissez pas Londres ? Ah, c’est l’hôpital que vous ne connaissez pas. Laissez-moi vous dire qu’il est très réputé dans la capitale et pour être engagé là-bas, il faut un sacré talent, vous pouvez me croire. Je vous parle de mon père mais pas tellement de ma mère. Elle est une avocate mais pour le bien de mon éducation, elle n’a toujours accepté que de travailler pour des affaires qui ne l’obligeaient pas à trop se déplacer. Certes, nous pouvions largement engager une nourrice vu nos moyens mais c’était quelque chose que maman avait du mal à concevoir : que son enfant soit élevé par quelqu’un d’autre. Je vais vous raconter quelques anecdotes de ma vie mais ne vous méprenez pas. Tout n’est pas rose en réalité.

BRIGHTON. JUILLET 1989. Même si l’Angleterre est de loin réputée pour son mauvais temps, ce jour est la preuve que les Occidentaux disent beaucoup de bêtises. En effet, en ce mois de juillet, le soleil rayonne de tout son éclat et nombreux sont les vacanciers à aller se baigner dans la Manche. Certes, elle n’est pas si chaude que cela mais c’est bien suffisant pour se rafraîchir. L’air est lourd, il n’y a pas de vent, c’est quelque peu difficile à supporter. De l’intérieur de leur villa au bord de la mer, la famille Jagger ne parvient pas à se rafraîchir. Nolan, le premier enfant de la famille sort de sa chambre et rejoint ses parents tranquillement installé dans le canapé de la maison. Où suis-je, moi ? Dans ma chambre à jouer avec mes poupées, une occupation classique pour les petites filles de mon âge. Nolan est mon grand-frère, nous avons trois années d’écart. Il faut croire que le « un enfant tous les trois ans » pouvait s’appliquer à mes parents. Nono s’installe entre ses deux parents sans mot dire. C’est Madame qui décide de sortir le nez de son bouquin. Elle caresse tendrement les cheveux de son fils et lui susurre : « Qu’y a-t-il, mon ange ? » Nolan hésite à demander, ce n’est tellement pas dans ses habitudes. Il lève le regard vers maman qui le gratifie d’un sourire. « On pourrait aller se baigner, s’il te plaît. » Pour unique réponse, elle lui prend la main et l’accompagne dans sa chambre. Elle lui sortit son slip de bain et le posa sur sa couette. Il était suffisamment grand pour savoir le mettre tout seul. Quelques secondes plus tard, on toqua à ma porte. J’aperçus Maman dans l’entrebâillement de la porte. « Oui, maman ? » Elle s’asseya sur mon lit, un sourire sur les lèvres. « Nous allons à la plage avec ton frère. Je vais t’aider à mettre ton maillot de bain. » Les gestes accompagnèrent la parole. Elle m’aida à enlever ma robe puis à enfiler mon maillot de bain une pièce bleu turquoise. Comme à son habitude, Maman ne se baignerait pas, se contentant de surveiller tout en continuant la lecture de la présentation d’une de ses prochaines affaires à mener. Nous voilà partis tous les trois à la mer quelques minutes plus tard. Nous n’avions qu’à traverser le jardin ce qui était vraiment pratique. Nolan savait nager comme un poisson dans l’eau. De mon côté, je me débrouillai comme je le pouvais. J’étais encore bien jeune alors j’avais le temps d’apprendre. Après quelques minutes de baignade, Nolan vint vers moi. « Tu veux que je te montre comment faire ? » Un simple hochement suffit à lui répondre. Il se mit alors derrière moi et se saisit de mes bras pour me guider. « Tu vois, tu fais comme ça puis il faut que tu battes des pieds en même temps. Il faut aussi que tu sois bien droite dans l’eau. Comme une planche… » La comparaison ne manqua pas de me faire rire. Je tentai de m’y mettre, j’avais envie qu’il soit fier de moi, mon grand frère. « Comme ça ? » Il vint se placer à côté de moi, passant sa main sous mon ventre pour que j’ai une meilleure idée de comment je devais me mettre. « Tu es gentille mais tu m’éclabousses là. » Il me parlait souvent sur le ton de la plaisanterie, c’était ce que j’aimais chez lui. Ce jour-là, j’avais appris à nager sans avoir besoin de payer des cours de natation. J’étais fière de moi et Nolan aussi. Il ne cessait de dire à tout le monde que c’était lui qui m’avait appris à faire ça. Aujourd’hui, Nolan n’est plus. A douze ans, il est mort noyé. Oui, lui qui savait si bien nager. Des vagues trop fortes et il a été entraîné dans des rochers. J’avais sept ans et je m’en souviens comme si c’était hier. Je me souviens surtout avoir appelé ma cousine, Jauny en pleurs pour lui annoncer.

BRIGHTON. AU COURS DE L’AN 2004. L’école, ce n’était plus aussi facile qu’avant. Et oui, maintenant, j’avais entamé ma senior year. En fin d’année, je serais diplômée ou non et mes parents misaient beaucoup sur moi. Il faut avouer que depuis la mort de Nolan, ils fondent tous leurs espoirs en moi et ils sont, comment dire… Extrêmement envahissant. Pas de sorties en semaine, pas le week-end non plus s’il y a un devoir lundi, hors de question de participer aux fêtes de lycéens (il n’y a que des junkies et des alcoolos qui y participent d’après eux), pas de notes en dessous de C sinon portable confisqué. J’peux vous dire que d’une certaine manière, quand on me parle de prison, j’ai ma petite idée sur ce que ça doit être. Il y a un moment où je n’en peux plus. Je n’hésite pas à en parler à Jauny. Nous avons toujours été proches toutes les deux même si nous ne nous voyons que l’été. Je me rappelle d’une de nos discussions. « Tu sais, Jauny, j’en ai vraiment ras-le-bol de leurs comportements. Parfois, j’ai l’impression qu’ils me tiennent responsable de la mort de Nolan. » Un soupir dans le combiné et la réponse ne tarde pas à suivre. « Ce n’est quand même pas ta faute si ton frère s’est noyé. Puis, ça date d’il y a onze ans maintenant. Certes, ça ne s’oublie pas mais ils n’ont pas à te faire des trucs pareils. Tu sais, les miens ne sont pas forcément plus cools que les tiens. » Effectivement, dans le genre parents tyranniques, Jauny comme moi avions pas mal donné. C’était à croire qu’ils s’étaient donnés le mot. « Un jour, on partira ensemble, Mickie. » Cette idée me paraissait la seule issue et puis il y avait bien pire que de vivre avec elle. La distance ne serait plus aussi difficile dans ce cas-là. Seulement quelques jours plus tard, Jauny avait décidé de mettre en application ce qu’elle avait dit. Sauf qu’elle n’avait pas respecté un terme du contrat : elle était partie seule et pas avec moi. Le plus chic dans tout cela, c’est qu’elle n’avait prévenu personne d’où elle allait. Même pas moi, c’est pour dire. Quatre années passèrent avant que je parvienne à obtenir de ses nouvelles. Elle avait toujours eu mes coordonnées et elle ne se réveillait que maintenant. Je n’avais jamais eu sa force. Je n’avais pas eu le courage de partir de chez moi. Je ne voulais pas que mes parents perdent leur deuxième enfant. Qui sait ce que cela aurait donné ? Je n’ai pas eu une vie si terrible que cela au fond. J’ai fait mes études de littérature anglaise à l’Université d’Oxford. Je n’avais pas pu poursuivre mon rêve de devenir vétérinaire. La faute à qui ? Mes parents encore, je valais mieux que cela à leurs yeux. Je n’ai jamais trouvé ce qu’il y avait de dégradant à être vétérinaire, bien au contraire. Aujourd’hui, me voilà partie pour Monroe où vit Jauny. Elle sait que je dois arriver mais encore faut-il que je la trouve.